« Pour mes obsèques, j’ai tout prévu » : c’est l’un des slogans qui est régulièrement utilisé dans les publicités des assurances, des banques et des entreprises de pompes funèbres pour vendre des assurances obsèques et décès. Ces publicités funéraires sont arrivées progressivement dans le secteur de la mort.« Elles apparaissent au début des années 1990 sous forme d’encarts publicitaires, publiés dans les journaux puis sous forme de spots publicitaires à la fin de la décennie, par petites doses, parce qu’il ne fallait pas choquer », explique Laurence Hardy, interrogée par nos reporters à l’école de la formation en travail social Askoria à Rennes. La sociologue est à l’origine de La mort, un commerce comme les autres ?, un article universitaire de 2005, dans lequel elle revient sur les débuts de la marchandisation de la mort.
La sociologue y évoque notamment la loi du 8 janvier 1993 abrogeant le monopole communal des
pompes funèbres. Elle a été à l’origine de la marchandisation de la mort et de son entrée dans
le secteur concurrentiel. « Cela a été, avec l’arrêt des classes d’honneur qui étaient
régentées par l’Église catholique, un des éléments importants de la marchandisation de la mort », nous
explique Laurence Hardy. En effet, plus les familles étaient riches, plus les sépultures étaient célébrées
avec apparats et grands décors. Elles restaient également fidèles à la même entreprise de pompes funèbres,
« d’une génération à l’autre » et « sans qu’il y ait une volonté de "faire jouer" la concurrence ».
Avec la multiplication des offres, les familles se montrent aujourd’hui plus sensibles à la prévoyance obsèques.
« C’est pour cela qu’on voit de plus en plus de publicités mais pas tellement aux heures de
grande écoute », souligne Laurence Hardy qui présage une intensification de la diffusion de
ce type de publicités en raison de « l’enjeu démographique, du nombre de décès qui va
progresser et des familles qui sont de plus en plus dispersées géographiquement ».
1990, c'est la décennie durant laquelle la publicité funéraire a fait son apparition.
3,9 millions de contrats étaient en cours fin 2014, dont 492 400 souscrits cette année-là.
22% des personnes décédées en France en 2014 avaient souscrit à un contrat assurance obsèques.
50 à 70 ans, c'est la tranche d'âge visée par les publicités funéraires.
Les pompes funèbres n'ayant pas le droit au démarchage direct par courrier ou par téléphone, les publicités télévisées sont leur seul moyen de façonner l'image de l'entreprise dans l'esprit du·de la téléspectateur·rice. Il y a donc un processus de mise en scène pour faire culpabiliser au plus vite celles·ceux qui n'ont pas entamé les démarches. Le but est de jouer sur les sentiments, de créer un choc et de laisser penser que ce sont les services proposés qui pourront réparer ce stress autour de la préparation des obsèques.
« Nous sommes dans la sensibilité humaine. Dans ces publicités, il y a une certaine forme de mise en scène. Le message est clair : si l’on ne prépare pas ses obsèques, nos enfants vont nous détester », constate Michel Kawnik, président de l'Association française d'information funéraire (Afif). Ce dernier s’est lancé en 1992 dans la création de cet organisme de consommateur·rice·s pour défendre les personnes en deuil face aux entreprises qui poussent excessivement à la consommation.
En quelques secondes, le·la téléspectateur·rice entre en introspection en regardant les diverses publicités funéraires : que se passera-t-il lorsqu’il·elle disparaîtra ? Nous avons analysé quatre publicités pour comprendre les différentes stratégies.
La première publicité présentée joue sur l'intime. Une histoire est racontée : un couple a souscrit une assurance. « Mes proches seront tranquilles », s'exclame l'un·e des protagonistes. Le message est clair : ne rien préparer équivaut à laisser ses proches dans l'embarras. Tout paraît simple. Cependant, une phrase, en bas de l'écran, est particulièrement révélatrice de l'intention de ce type de publicités : « Le capital ne peut pas suffire à couvrir l'intégralité des frais d'obsèques ». Laurent Bohu, professionnel de la communication, analyse cette situation : « Le spot fait tout pour libérer les gens de l'angoisse mais montre qu'ils vont faire un achat à crédit de leurs funérailles. Les protagonistes sont jeunes, ils peuvent ainsi prendre un capital plus élevé puisqu'il leur reste normalement de nombreuses années à vivre. On transforme la mort en service ».
La deuxième publicité a une approche davantage moralisatrice. Une jeune femme regarde directement dans les yeux le·la téléspectateur·rice et raconte son expérience comme s’il s’agissait d’une histoire entre ami·e·s, en toute confiance, en toute franchise : « J'ai été confrontée au décès d'un proche, comme tout le monde. J'ai réalisé qu'il fallait organiser mes obsèques ». L’expression « comme tout le monde » illustre bien la volonté des services marketing de pompes funèbres de laisser penser à leurs potentiel·le·s client·e·s, de façon abusive que, si ils·elles ne font rien, ils·elles seront marginaux·ales et irresponsables.
Autre mise en scène dans la troisième publicité. À travers une succession de lieux, l'homme retrace les événements de sa vie auxquels il ne s'attendait pas. Sauf sa fin de vie : « Pour mes obsèques, j'ai tout prévu ». Le discours est basé sur la nécessité de tout prévoir, un slogan qui a pour ambition de faire réfléchir. Le fait d’être responsable est mis en avant par la rétrospective de la vie de l'individu·e. L’idée est qu’on peut laisser le hasard décider de certains événements de sa vie mais pas de sa mort. On pourrait presque contrôler sa mort. Il serait donc irresponsable de ne pas l’anticiper.
Dans une ambiance anxiogène et dramatique, la dernière publicité sélectionnée tente elle aussi de culpabiliser le·la téléspectateur·rice : des enfants sont au bord des larmes avant que leur grand-père ne se réveille subitement. La phrase « Mieux vaut les surprendre aujourd'hui que plus tard » montre que la notion de famille est importante et qu'il faut penser à celles·ceux qui restent après le décès d'un·e proche. Le sentiment de responsabilité apparaît comme un élément majeur.
À leurs débuts, les publicités funéraires étaient loin de ressembler à celles sélectionnées pour ce zapping. Elles mettaient en scène uniquement des personnes âgées. La sociologue Laurence Hardy a constaté qu’au début des années 2000, le profil du·de la souscripteur·rice était une femme, de préférence veuve ou célibataire. Il s’agissait d’une manière de les sensibiliser à la préparation de leurs obsèques. Ces spots ont évolué au fil des années, en représentant aujourd'hui une plus large partie de la société allant des petit·e·s-enfants aux grand·e·s-parent·e·s.
Aujourd’hui, tous ces spots ressemblent à n’importe quelle autre publicité. Ils se banalisent.« Les codes de ces publicités sont les mêmes que dans celles pour des joailliers par exemple, il s’agit d’ancrer les protagonistes dans leur vie de tous les jours. Nous pouvons le noter, il n'y a jamais de croque-mort. Tout est fait pour ne pas effrayer mais rassurer », analyse Laurent Bohu. La prévoyance obsèques apparaît donc comme un produit de consommation comme un autre, accessible à tout âge de sa vie d’adulte sans angoisse, sans pleurs. Les publicitaires enlèvent la tristesse. Le mot « mort » n’est, par exemple, jamais employé.
Les pompes funèbres et les assurances emploient les mêmes procédés que les autres entreprises. On retrouve dans les spots des témoignages d’expériences mais aussi des codes graphiques similaires : les gros plans, le flou, le regard. Les sens des téléspectateur·rice·s sont utilisés et leurs émotions sollicitées. Les publicitaires gomment l’image de la mort pour vendre de la sérénité. « L’émotion [...] dépend d’un processus d’évaluation subjectif. Ce qui marche c’est lorsqu’il y a une combinaison d’émotions positives et négatives », explique Mathieu Lajante dans un article de Stratégies du 15 décembre 2016. Maître de conférences à l’Université de Rennes 1, il a soutenu en 2013 une thèse sur les neurosciences dans la persuasion publicitaire. La dernière publicité visionnée est un bon exemple. Le·la téléspectateur·rice passe d’un sentiment d'inquiétude à l'humour. Sans le son, certaines campagnes pourraient être adaptées à n'importe quel produit.
On retrouve également dans ces publicités des standards. Les prix ont une importance et sont mis en avant. Certaines assurances proposent des offres comme « trois mois offerts » ou « à partir de 3,98 euros par mois ». Ces techniques pour inciter le·la client·e à consommer, ne sont pas propres au marché funéraire. Les contrats d’assurances habitation ou les abonnements en salles de sport y ont recours. Dans ce marché, le·la souscripteur·rice s'occupe lui·elle-même de ses funérailles. C’est ainsi une aubaine pour faire jouer la concurrence. Son choix va porter sur les services des entreprises mais aussi sur ce que cela va lui coûter. Une possibilité à laquelle on ne pense pas dans la précipitation d'un décès. « Les gens penchent en amont vers ce qu'il y a de plus cher car ils ont le temps. C’est commercial », souligne Laurent Bohu.
Le marketing est très développé au sein des entreprises de pompes funèbres et des assurances. Le·la souscripteur·rice est considéré·e comme un·e client·e. Laurence Hardy a travaillé, pour sa thèse, dans les années 1980, dans une société de pompes funèbres. Elle constate que la situation n’a pas évolué : « Les objectifs étaient chiffrés. Il fallait espérer, c'est malheureux à dire, de voir des clients. J'avais des consignes pour proposer les services les plus coûteux ». Ces objectifs sont toujours d’actualité sur un marché funéraire estimé à 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaire en 2015, par l’Insee. Or, les professionnel·le·s de la mort préfèrent se qualifier « d'accompagnants ». Nous avons interrogé la responsable marketing d’un groupe d’assurances français. Elle définit la prévoyance obsèques comme « un cadeau pour les proches ». L’idée de business reste un sujet à controverses. Plusieurs entreprises n’ont pas souhaité répondre à nos questions.
La plupart des banques ont également fait leur place sur ce marché florissant. Serge Laniesse a proposé pendant 30 ans des assurances dans une enseigne bretonne, avant de partir à la retraite : « Un conseiller pouvait avoir environ dix contrats à vendre par an. Cela peut paraître peu mais, rapporté au nombre de conseillers en France, c'est un chiffre important ». La prévoyance est donc installée avec 492.400 assurances obsèques souscrites en 2014, (soit 5 % en plus par rapport à l’année précédente, selon l’Association française de l’assurance). Ces chiffres devraient continuer à augmenter avec la croissance démographique.
Cercueil au cœur d’un ring de boxe, cendres envoyées dans l’espace, défunt·e transporté·e par des chevaux, cortèges funèbres, et acteur·rice·s pour pleurer la mort de son proche, rien n’est trop élégant pour une « belle mort ».
« Nous ne faisons pas d’enterrements basiques, chacun doit vivre une expérience unique. Si quelqu’un veut se faire enterrer en dunkant, on peut le faire ; si quelqu’un veut sauter d’un avion, on peut le faire », s’exclame la voix du spot de présentation de Golden Gate Funeral, une entreprise américaine de pompes funèbres. Si en France, ces démonstrations restent exceptionnelles, aux États-Unis, la recherche de l’esthétisme est poussée à son paroxysme. « Les personnes peuvent être exposées dans des vitrines sur des fauteuils. Il est également possible de passer devant une chapelle et d’observer un corps exposé sur une moto, s'il aimait bien cette activité », indique Laurence Hardy, sociologue et auteure de l’article La mort, un commerce comme les autres ?.
Deux raisons principales expliquent ce phénomène. D’un côté, il y a le respect de la volonté de la personne défunte. De l’autre, il s’agit d’un transfert de l’affection pour des proches sur la qualité et le niveau tarifaire des funérailles. Selon l’Association d’information française funéraire (Afif), l’enterrement représente la troisième dépense après l’habitat et la voiture. Même avec peu de moyens, certaines personnes sont prêtes à débourser sans compter pour cette « dernière dépense », comme si une belle mort constituait un passeport pour le paradis.
Mais quelles sont les formules « originales » proposées par les pompes funèbres ? Pouvons-nous être beau·elle jusque dans la mort ? Et à quel prix ? S’il faut, en France, compter en moyenne 4.500 euros pour un enterrement et 3.500 euros pour une crémation, la facture est bien souvent plus élevée.
Aujourd’hui, le deuil dépend du portefeuille et ce n’est pas près de s’arrêter. Le marché de la mort est impérissable. En 2017, 603.000 décès ont eu lieu en France. Ce sont 603.000 prestations possibles.
Les « bonnes » pratiques funéraires, les « beaux » hommages sont des constructions sociales et historiques.
Pour certain·e·s, il s’agit d’une mort luxueuse. Pour d’autres, simplement d’une mort jugée digne.« Avoir une belle mort, c'est déjà avoir bien vécu ».
« Avec des fleurs aussi ».
« On s'en fout, on la voit pas ! Un peu de respect ».
« Ni fleur ni couronne, c'est clair. Rien. Rien de tout ça ».
« Faire la fête, faire une belle scène. Ouais, faire la fête ».
« Soudainement, comme ça, là. On se met sous une voiture, on n’en parle plus ».
La notion même d’esthétisme du corps a évolué au gré des traditions, des époques, mais aussi des religions.
Aujourd’hui, les traits des défunt·e·s sont maquillés, les caractéristiques de la mort camouflées. La thanatopraxie, ou l’art de conserver les corps, consiste à prodiguer des soins aux défunt·e·s pour les préserver de la décomposition naturelle. Selon Laurence Hardy, la pratique s’est développée en partie après la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que les familles ne gardent pas des images traumatisantes des victimes. Plus qu’un soin, la thanatopraxie permet de protéger la sensibilité des vivant·e·s, facilitant ainsi le deuil des proches. Laurence Hardy raconte qu’« avant, une belle mort c’était un corps allongé sur son lit, avec tous les rites qui l’entourent. L’esthétisation de la mort est apparue principalement après le déclin de la pratique religieuse. La beauté n’était pas du tout recherché car on ne cachait pas la mort ». Sans croyance, plus de retrouvailles au paradis. La cérémonie funéraire signe un adieu plutôt qu’un au-revoir et pour la scène finale, tous les artifices sont permis.
Jean-Luc Roset est directeur de la marque de la maison Henri de Borniol à Paris. Il s’agit de la filière « prestige » de l'organisation général des pompes funèbres (OGF). La maison Henri de Borniol notamment organisé l’enterrement de François Mitterrand ou encore de Dalida.
Dans les Côtes-d’Armor, a priori, pas d’extravagance mais une recherche de la qualité et des dépenses optionnelles qui font grimper la facture. Au téléphone, les entreprises spécialisées refusent de s’avancer sur les tarifs. « Cela dépendra de ce que vous souhaitez, des matériaux, je ne peux pas vous dire ». On donne des précisions, on insiste. Elles·eux aussi. Après une dizaine d’appels, nous n’obtenons qu’un seul devis pour des stèles personnalisées. Pourtant, en se rendant sur place, les employé·e·s décrivent aisément les offres : cercueil avec capitons, gerbes de fleurs, achat de caveau, tombes en marbre, porteu·r·se·s, maître·sse de cérémonie, soins de thanatopraxie, parutions dans la presse, avis de décès, habits particuliers… Les client·e·s ont un panel de choix impressionnant. Des classeurs entiers sont remplis de références pour chaque cercueil, urne et plaque de toutes formes et couleurs. Pratiquement tout est personnalisable. Certains choix sont presque naturels. Ici, on se tourne vers des monuments et des pierres tombales en granit rose, moins cher, de proximité et régulièrement utilisé autour de Lannion. Et les prix ? On semble oublier de nous les préciser.
Dans certaines entreprises de pompes funèbres, des formules « tout compris » sont proposées. Les trois tarifs affichés, entre 1.260€ et 4.300€, omettent le prix de la concession, des fleurs, des soins de thanatopraxie et des autres offres complémentaires.
Dans des petites villes, les funérailles sont des événements semi-publics. Elles ont lieu au coeur du village et sont souvent annoncées dans la presse locale. Les voisin·e·s, les habitant·e·s et les connaissances des familles jaugent et jugent l’effort mis en avant lors de la cérémonie. Cette scène, à première vue intimiste, devient sujet à discussion dans le cercle familial, amical et communal.
Même avec l’intention de ne pas dépenser beaucoup pour les obsèques d’un·e proche, au moment de compléter le devis, les familles choisissent rarement les produits d’entrée de gamme. Elles refusent d’opter pour du « low cost » dans une situation si particulière. C’est pourquoi très souvent, les funérailles sont simples et non ostentatoires, avec toutefois des choix de cercueils et de stèles solides et durables. « C’est un investissement unique qui représente toute une vie. Même les plus pauvres ne veulent pas d’un enterrement au rabais. Cela ne les représente pas à leur juste valeur », confirme Marie-Frédérique Bacqué, psychologue, spécialiste des traumatismes, de la mort et du deuil.
Ainsi, Solène* a perdu son père il y a 19 ans. Au moment de l’organisation des funérailles, sa mère a pris la majorité des décisions : « Il était important de ne pas choisir un cercueil en pin, jugé trop simple. Un cercueil pas assez cher aurait sûrement dévalorisé le défunt à ses yeux. Le capitonnage était coûteux. Mais il en allait de l’image de mon père ».
Un dévouement de la part des proches qui fait le jeu du business des pompes funèbres : « Plus la famille sera ignorante, plus elle sera manipulable et paiera n’importe quel prix. Pour les pompes funèbres, la stratégie est de faire en sorte que les familles n’aillent pas voir la concurrence pour comparer les tarifs. Au lieu d’effectuer un devis et de laisser réfléchir, ils font signer un bon de commande au plus tôt. Ils font agir dans l’urgence », explique Michel Kawnik, président de l’Association d’information française funéraire (Afif).
La qualité et l’élégance de la cérémonie s’inscrivent comme des marqueurs sociaux, mais servent avant tout à traduire le respect et l’honneur envers le•la défunt•e. Et cela, quitte à débourser des sommes impressionnantes.
*Par respect de l’anonymat de la personne, le prénom a été modifié.